Chaque année, plusieurs millions de Français vivant avec une maladie chronique sont exposés à un risque accru d’infection et de complications graves. Pour eux, une simple grippe, une pneumonie à pneumocoque ou une infection virale peut suffire à déclencher une décompensation aiguë de leur maladie, une hospitalisation ou une perte d’autonomie.
Dans un contexte de vieillissement de la population, d’augmentation des maladies chroniques et de traitements toujours complexes, l’infirmier libéral occupe une place stratégique.
Il est souvent le premier à repérer un retard vaccinal, informer, rassurer, coordonner et vacciner.
Mais qui vacciner ? Avec quoi ? Dans quelles conditions ?
C’est tout l’objet de cet article.
| Idée centrale : Les patients chroniques sont les plus exposés aux complications infectieuses : l’IDEL est un acteur clé pour leur maintien à domicile, la prévention et la mise à jour vaccinale. |
Pourquoi la vaccination est-elle essentielle chez les personnes atteintes de maladies chroniques ?
Risques infectieux majorés
Chez les patients atteints de maladies chroniques, les défenses immunitaires sont fragilisées :
- directement, par la maladie elle-même (inflammation chronique, défaillance d’organe),
- indirectement, par les traitements (corticoïdes, immunosuppresseurs, biothérapies).
Résultat : la réponse immunitaire est diminuée, avec pour conséquences :
- Des infections plus fréquentes,
- Des formes plus graves,
- Un risque de décompensation rapide,
- Des hospitalisations répétées,
- Une fatigue prolongée, une perte d’autonomie, voire le décès.
La vaccination reste la mesure préventive la plus efficace, quel que soit le stade de la maladie.
Impact sur le parcours de soins
Les infections sévères déclenchent souvent certains évènements aigus :
- une hyperglycémie majeure ou une acidocétose chez un diabétique
- une exacerbation chez le patient BPCO
- un œdème aigu du poumon chez l’insuffisant cardiaque
- une infection bactérienne grave chez le cirrhotique
- une infection opportuniste chez l’immunodéprimé.
Pour un patient fragile, chaque infection évitable est une victoire clinique.
Pathologie chronique et risques infectieux
| Pathologies | Risques infectieux | Risques de décompensation |
| Diabète | Défenses immunitaires réduites | Hyperglycémie sévère, acidocétose. |
| BPCO | Infections respiratoires fréquentes | Exacerbations infectieuses sévères. Hospitalisation, oxygénothérapie, baisse de l’autonomie. |
| Insuffisance cardiaque | Décompensation fébrile | OAP, surcharge cardiaque. |
| Cirrhose | Immunodépression fonctionnelle | Infections bactériennes graves, sepsis. |
| immunodépression | Tous types d’infections | Infections opportunistes, risque vital. |
Maladies chroniques concernées par les recommandations vaccinales
Sont concernées par les recommandations les maladies métaboliques, cardiovasculaires, respiratoires, hépatiques, rénales, auto-immunes, les cancers et l’immunodépression.
Maladies métaboliques et cardiovasculaires
- Maladies métaboliques : diabète type 1 et 2, obésité morbide.
- Pathologies cardio-vasculaires : insuffisance cardiaque, coronaropathies, HTA sévère.
Maladies respiratoires, hépatiques, rénales
- Maladies respiratoires : BPCO, asthme sévère sous traitement de fond.
- Atteintes hépatiques : cirrhose, hépatopathies chroniques, alcoolopathies évolutives.
- Atteintes rénales : insuffisance rénale chronique (stade IV et V), patients dialysés.
Immunodépression, cancers et maladies auto-immunes
- VIH
- Corticothérapies prolongées
- Biothérapies immunosuppressives
- Chimiothérapies, radiothérapies
- Greffes d’organes ou de cellules souches
- Polyarthrite rhumatoïde, lupus, sclérose en plaques.
Les vaccins doivent idéalement être administrés avant le début d’un traitement immunosuppresseur (biothérapie, anti-CD20)
Plus la maladie chronique est avancée, plus la vaccination est indispensable.
Les vaccins vivants sont contre-indiqués en cas d’immunosuppression sévère.
Quels vaccins recommander en cas de maladie chronique ?
Vaccins du calendrier général
- DTP tous les 10 ans,
- Coqueluche chez l’adulte (rappel si > 10 ans).
- ROR selon l’âge, en cas d’absence d’immunité documentée.
- Hépatite B selon sérologie (taux d’anticorps) et facteurs de risque.
Ils restent nécessaires, y compris chez le malade chronique.
Vaccins fortement recommandés
- Grippe : vaccination annuelle, idéalement avant l’hiver.
- Covid-19 : rappel avec vaccin ARNm adapté aux variants majoritaires, schéma renforcé selon recommandations (> 65 ans, comorbidités sévères, immunodéprimés).
- Pneumocoque : schéma type PCV13 puis PPSV23 ou schéma simplifié avec PCV20 (de plus en plus utilisé). Les patients prioritaires sont les diabétiques, cirrhotiques, cancéreux, immunodéprimés, ceux atteints de BPCO et les personnes âgées.
Vaccins selon contextes spécifiques
- Zona (recombinant non vivant) : recommandé dès l’âge de 65 ans ou chez l’adulte immunodéprimé à partir de 18, selon un schéma à deux doses.
- Hépatite A : essentiellement recommandé en présence de cirrhose, hépatopathies chroniques, alcoolopathies importantes.
- Méningocoque : vaccination renforcée en cas d’asplénie ou d’immunodépression sévère, avec l’association d’un vaccin tétravalent ACWY, et éventuellement d’un vaccin B selon le profil.
Recommandations vaccinales spécifiques par pathologie
| Pathologie | Vaccins prioritaires | Particularités |
| Diabète | Grippe, pneumocoque, hépatite B | Vaccination intégrée au suivi annuel. |
| BPCO | Grippe, pneumocoque | Vacciner en période stable. |
| Cirrhose | Hépatite A et B, pneumocoque | Risque infectieux majeur. |
| Dialyse | Hépatite B (4 doses), grippe, pneumocoque | Schémas renforcés. Surveillance sérologique régulière. |
| Immunodépression | Grippe, Covid, pneumocoque | Vaccins vivants contre-indiqués. Anticiper la vaccination avant les traitements. |
Quand et comment vacciner un patient chronique ?
Les dernières dispositions réglementaires autorisent les infirmiers à vacciner à domicile ou en cabinet avec la plupart des vaccins inactivés.
Évaluation préalable clinique
Mais avant de vacciner, l’infirmier doit réaliser une évaluation clinique afin de sécuriser son geste. Celle-ci permet de :
- S’assurer que l’état clinique est compatible avec la vaccination (absence de décompensation aigüe).
- Vérifier les traitements en cours (immunosuppresseurs ? biothérapies ?).
- Identifier les contre-indications réelles (rares).
Vaccins vivants vs inactivés
- Les vaccins inactivés sont utilisables dans la plupart des situations, y compris chez les patients sous traitements lourds : méthotrexate, anti-TNF, rituximab, chimiothérapie ou corticothérapie à doses élevées. La réponse est parfois diminuée mais conserve un intérêt majeur.
- Les vaccins vivants atténués (ROR, varicelle, fièvre jaune, BCG…) sont contre-indiqués en cas d’immunodépression sévère. Ils nécessitent une évaluation médicale spécialisée.
Lieux et parcours de vaccination
La vaccination peut avoir lieu :
- À domicile ou en cabinet, par un infirmier libéral (vaccins inactivés uniquement, selon décrets en vigueur).
- En cabinet de ville, par les médecins traitants.
En officine, par les pharmaciens. - En centres de vaccination.
Quel que soit le lieu choisi, il est indispensable de tracer l’acte et de consigner les références du vaccin dans le carnet de vaccination et dans le DMP.
Rôle réglementaire et responsabilités spécifiques des IDEL
Ce que l’IDEL peut vacciner
Les dernières évolutions réglementaires ont élargi les compétences des infirmiers en matière de vaccination.
Depuis 2022, l’infirmier peut, après une formation spécifique, prescrire et administrer la quasi-totalité des vaccins inactivités du calendrier vaccinal adulte et adolescent (grippe, Covid-19, pneumocoque, hépatites, HPV, etc.) chez les patients de 11 ans et plus, selon les recommandations en vigueur.
Il peut aussi participer pleinement à la mise à jour du calendrier vaccinal des patients chroniques, en lien avec le médecin traitant.
Ce que l’IDEL ne peut pas faire
En revanche, il ne peut pas administrer de vaccins vivants aux immunodéprimés — un avis spécialisé est indispensable — ni réaliser les premières doses nécessitant une examen médical préalable.
Obligations professionnelles
Les obligations professionnelles incluent :
- L’information claire et loyale
- Le consentement éclairé du patient
- La surveillance post-vaccinale
- La traçabilité (dossier de soins, DMP)
- La déclaration des effets indésirables à l’ANSM.
Contre-indications et précautions
Contre-indications avérées
Les contre-indications réelles sont :
- L’infection aiguë sévère.
- L’immunodépression sévère (vaccins vivants).
Situations à surveiller
Les situations dont il faut tenir compte avant d’administrer un vaccin sont :
- Les biothérapies, les thérapies immunosuppressives (anti-calcineurines)
- La corticothérapie > 20 mg
- Les pathologies nécessitant avis spécialisé préalable.
Ce qui n’est pas une contre-indication
En revanche, certaines situations ne contre-indiquent pas la vaccination :
- Un rhume léger ou une infection minime
- Une fatigue modérée
- Un traitement par antibiotiques en cours.
- Une maladie chronique stable.
Calendrier vaccinal adapté aux personnes atteintes de maladies chroniques
Schémas renforcés et adaptations
Certains schémas vaccinaux sont renforcés ou adaptés dans certaines situations :
- Pneumocoque : schémas spécifiques PCV13 puis PPSV23 (ou PCV20 selon les recommandations en vigueur).
- Hépatite B chez les dialysés : schémas possibles en 4 doses.
- Zona recombinant : 2 doses à 2 à 6 mois d’intervalle.
Importance du suivi longitudinal
Un suivi vaccinal annuel doit être intégré au parcours de soins du malade chronique, pour éviter tout retard vaccinal — les rappel doivent être planifiés, le carnet vaccinal numérique mis à jour.
Exemple de calendrier adapté
| Vaccin | Fréquence | Patients prioritaires |
| Grippe | Annuel (idéalement avant l’hiver) | Tous les chroniques. |
| Covid-19 | Selon les recommandations (schémas renforcés possibles) | > 65 ans, comorbidités. |
| Pneumocoque | PCV 20 ou PCV13 + PPSV23 | Diabète, BPCO, immunodépression. |
| Hépatite B | 3 ou 4 doses | Dialyse, diabète. |
| Zona | 2 doses Vaccin non vivant | Comorbidités. Dès 65 ans 18 ans si risque majeur. |
Calendrier vaccinal adapté aux personnes atteintes de maladies chroniques
Les patients chroniques expriment souvent des craintes ou des réticences face aux vaccins par peur d’aggraver la maladie, de développer des effets indésirables, mais aussi par défiance à l’égard des recommandations officielles.
Messages clés à transmettre
Pour les rassurer, les messages clés peuvent être d’un grand secours :
- « Ce ne sont pas les vaccins qui déstabilisent les maladies chroniques, mais les infections (grippe, covid, pneumonie…). »
- « La plupart des vaccins inactivés sont sûrs, même en cas de traitements lourds, et si la réponse est parfois diminuée, la protection partielle reste utile. »
- « Le vaccin réduit les hospitalisations, les complications, les pertes d’autonomie, et contribue à maintenir la qualité de vie au domicile. »
| Le cocooning : Chez les malades chroniques ou immunodéprimés, vacciner l’entourage est indispensable pour préserver leur santé. |
Techniques de communication
Elles reposent essentiellement sur :
- L’écoute active
- La reformulation des peurs
- L’explication simple du bénéfice-risque
- L’utilisation des supports officiels (HAS, ministère de la Santé, vaccination info service) pour crédibiliser le discours.
FAQ : Questions fréquentes des infirmiers
« Puis-je vacciner un patient sous immunosuppresseur ? »
Les vaccins inactivés peuvent être administrés. En revanche, la prudence est recommandée avec les vaccins vivants atténués. En général, ils sont à éviter ou à discuter avec un spécialiste.
« Les vaccins peuvent-ils interagir avec mes traitements ? »
Oui, notamment avec les anti-CD20, le méthotrexate, la chimiothérapie. La vaccination reste cependant indispensable : même partielle, la protection est utile.
« Mon patient craint une aggravation de sa maladie »
N’hésitez pas à le rassurer : ce ne sont pas les vaccins qui aggravent les pathologies chroniques, mais les infections.
« Faut-il vacciner les proches ? »
Oui, c’est ce qu’on appelle la stratégie de cocooning.
Pour conclure…
La vaccination reste l’un des outils les plus fiables que nous ayons pour prévenir certaines maladies graves, protéger les plus vulnérables, et alléger la charge qui pèse sur les soins.
Mais pour que ce geste fonctionne et s’ancre dans les quotidiens, il a besoin de vous, de votre expertise, de votre présence auprès des patients fragiles, anxieux ou isolés.
Parce que oui, votre rôle est déterminant : vous n’injectez pas seulement un vaccin, vous évaluez, informez, rassurez, surveillez, tracez et orientez au besoin.
Mais pour accompagner avec justesse, il faut connaître les mécanismes immunitaires, savoir reconnaître les facteurs de variation et anticiper les situations particulières.
C’est là que la formation continue prend tout son sens : elle vous permet d’actualiser vos connaissances, de vous outiller et de sécuriser vos pratiques.
Alors si vous souhaitez approfondir ces notions et renforcer votre expertise, découvrez notre formation DPC dédiée à la vaccination.
Pour ceux qui vivent avec une maladie chronique, un simple virus peut suffire à faire basculer l’équilibre fragile construit jour après jour.
La vaccination doit faire partie intégrante de leur prise en charge au même titre que les traitements, l’écoute ou la surveillance clinique.
Elle protège des formes graves, évite les hospitalisations, les pertes d’autonomie et les spirales de décompensation qui fatiguent, inquiètent et abîment parfois durablement.
C’est l’un des moyens les plus sûrs dont nous disposons pour préserver leur santé.
Dans ce parcours de soins des maladies chroniques, l’infirmier libéral a toute sa place.
Il est même au centre de cette prévention : il repère, écoute, rassure, accompagne, informe, vaccine et coordonne les soins. En deux mots : il protège.
Pour aller plus loin, découvrez notre formation DPC : Prescription des vaccins par l’IDEL et Vaccination par l’IDEL : amélioration de la prévention.
Source :
Vaccination Info Service : Vaccination et maladies chroniques.
Santé.gouv.fr : le calendrier des vaccinations.
Mesvaccins.net : calendrier vaccinal 2024 : de nombreux changements