Évaluer et soulager la douleur aiguë chez l’enfant : rôle infirmier, outils et bonnes pratiques

Difficile à évaluer, manque de temps, mais aussi idées reçues et fausses croyances : ce sont autant de facteurs qui nuisent à la prise en considération de la douleur chez l’enfant.

En effet, qui n’a jamais entendu dire que tel enfant hurle par caprice ou pleure parce qu’il a faim, que tel autre feint d’avoir mal pour ne pas aller à l’école, ou que tel autre encore est bien « trop douillet » ou « fait du cinéma » pour attirer l’attention ?

Et, la consigne était claire : laissez-les pleurer et s’agiter pour qu’ils apprennent la frustration !

Si les discours ont évolué, certains clichés ont la vie dure, et peuvent faire passer à côté d’une douleur.

En tant qu’infirmiers, vous pouvez agir.

Vous êtes même en première ligne pour évaluer, soulager et alerter en cas de douleur aiguë chez l’enfant.

Aujourd’hui, il existe près de 60 outils pour vous aider dans cette tâche mais, force est de constater qu’ils sont encore trop souvent méconnus ou mal utilisés.

Et, pour cause ! À moins de se spécialiser en pédiatrie ou d’actualiser régulièrement ses connaissances, il n’est pas si simple de s’y retrouver et de choisir l’outil le plus adapté.

Mais, rassurez-vous, nous allons vous aider à vous familiariser avec les échelles validées, pour que vous puissiez les intégrer rapidement à votre pratique.

Alors, quelles sont les recommandations actuelles et de quels outils disposez-vous pour évaluer et optimiser les prises en charge de vos petits patients douloureux ?

C’est ce que nous verrons dans cet article.

1. Physiopathologie pédiatrique spécifique :

La douleur pédiatrique n’est pas simple à évaluer car les facteurs physiologiques et psychosociaux qu’elle implique, varient avec l’âge des enfants.

En revanche, on sait que si le système nerveux des enfants est immature, la nociception, elle, est active dès la naissance.

Les signaux douloureux sont donc perçus, y compris chez les nouveau-nés et les nourrissons, chez qui la sensibilité périphérique est même accrue à cause de l’immaturité des systèmes inhibiteurs de la douleur.

Les comportements d’évitement, comme le retrait ou la prostration, observés en présence de douleurs intenses montrent bien que le système nerveux central s’active, notamment dans les structures limbiques.

On sait aussi que la perception et la régulation de la douleur dépendent de la maturation du cerveau, et que les voies de la douleur se développent pendant l’enfance.

Par conséquent, chez un enfant régulièrement confronté à la douleur, le processus de maturation peut être affecté, ce qui perturbera le traitement des prochaines douleurs.

Enfin, quand elles ne sont pas prises en considération, ces douleurs évoluent en intensité, se chronicisent, et entrainent des complications : hypersensibilisation, anxiété, troubles comportementaux, méfiance, refus de soins …

Il est donc essentiel que vous les détectiez et les soulagiez le plus précocement possible.

2. Types de douleur aiguë rencontrés en pratique :

Dans la pratique, vous serez amenés à prendre en charge différents types de douleur : post-opératoires, traumatiques, infectieuses, et procédurale (vaccin, ponction, pansement).

L’évaluation et le traitement de la douleur sont des aspects essentiels des soins pédiatriques.

L’évaluation doit être adaptée au développement et à l’état de l’enfant : âge, ventilation mécanique, troubles neurologiques ou psychiatriques …

C’est l’une des clés pour optimiser les soins chez ces petits malades, souvent incapables d’exprimer clairement leur douleur.

On utilise les échelles comportementales chez les tout-petits, mais quand l’âge ou les capacités de l’enfant le permettent, l’autoévaluation est priorisée.

À noter qu’en présence d’un enfant qui présente une déficience, vous n’écartez pas d’emblée l’autoévaluation.

En revanche, si les troubles sont prononcés, vous optez pour l’outil d’hétéroévaluation le plus adapté à l’enfant, et vous confrontez votre évaluation à celle faite par le parent, souvent mieux placé pour évaluer les fluctuations de comportements de son enfant.

1. Nourrissons et jeunes enfants non verbaux :

Chez les tout-petits, il faudra être attentif aux signes non-verbaux (expression faciale), au comportement global, et à leurs variations en fonction du contexte.

Les signes les plus fréquemment rencontrés sont les pleurs, les cris, la crispation, l’agitation, l’irritabilité, les troubles du sommeil, le repli, l’inactivité, et le refus de s’alimenter.

À noter que si les fluctuations des signes vitaux peuvent être pertinentes chez le nourrisson douloureux, ces indicateurs sont moins fiables chez les enfants plus âgés, l’absence de signes vitaux n’excluant pas la douleur.

2. Enfants plus grands :

Chez les plus grands, on recueillera les plaintes verbales, et on observera le comportement : retrait, colère, inhibition, refus des soins…

La douleur peut entraîner une anxiété anticipatoire face à certains actes.

Outils d’évaluation infirmiers adaptés à l’âge :

Chaque outil cible un type de patients et/ou de douleur précis.

Chez les 6 ans et plus :

À partir de l’âge de 6 ans, les échelles d’autoévaluation doivent être privilégiées.

  • L’échelle NRS-11 (Numeric Rating Scale-11) :

Cette échelle est indiquée chez les enfants > 6 ans, et en cas de douleurs aiguës, postopératoires, et éventuellement chroniques.

  • L’échelle FPS-R (Faces Pain Scale-Revised) :

On l’appelle l’échelle des « visages modifiées ». C’est l’une des préférées des enfants. Elle est recommandée chez les enfants de 4 à 7 ans, qui présentent une douleur aiguë et éventuellement, postopératoire.

Chez les nourrissons :

Chez les tout-petits, on utilise des échelles pluridimensionnelles, qui apprécient quantitativement et qualitativement différents aspects de la douleur.

Les 3 échelles à privilégier sont :

  • L’EVENDOL (EValuation ENfant DOuLeur) :

Elle est recommandée pour évaluer toutes les douleurs de l’enfant de sa naissance à ses 7 ans.

Elle comporte 5 items comportementaux simples : expression vocale ou verbale ; mimique ; mouvements ; positions et relation avec l’environnement, qui permettent de mesurer l’intensité de la douleur qu’elle soit aiguë (pleurs, grimace, agitation, raideurs, gestes de protection, inconsolabilité) ou prolongée avec signes d’atonie psychomotrice (raideurs, immobilité partielle ou complète, désintérêt pour les jeux ou l’entourage, apathie et prostration).

Le score d’appel de prescription est de 4/15

C’est une échelle comportementale simple, rapide, valable à tout âge, et pour tout type de douleur.

  • La NIPS (Neonatal Infant Pain Scale) :

Elle est indiquée pour évaluer les douleurs néonatales et postopératoires.

Elle contient des indicateurs physiologiques, comportementaux et contextuels.

  • La FLACC (Face, Legs, Activity, Cry, Consolability) :

Elle est recommandée chez l’enfant, dès l’âge de 2 mois, et jusqu’à 7 ans.

Elle n’est pas toujours pertinente dans les douleurs postopératoires, dans certaines situations comme l’emmaillotage ou chez les jeunes enfants peu expressifs.

Mais, il en existe une version modifiée (la FLACC modifiée) qui permet d’évaluer les enfants âgés de 4 à 19 ans, incapables de s’exprimer (atteinte cognitive, non verbaux).
Le seuil de traitement généralement admis est de ≥ 3-4.

D’autres échelles sont disponibles pour évaluer la douleur du nourrisson :

  • La NFCS (Neonatal Facial Coding System) :
  • Elle se réfère à la « grimace » pour mesurer la douleur aiguë, postopératoire ou prolongée, chez les enfants jusqu’à l’âge de 18 mois.
  • La N-PASS (Neonatal Pain, Agitation, and Sedation Scale) en cas de douleur aiguë et prolongée.
  • Le PIPP (Premature Infant Pain Profile) : profil d’évaluation de la douleur, notamment postopératoire, chez le nouveau-né prématuré ou à terme.
  • La CHEOPS (Children’s Hospital of Eastern Ontario Pain Scale) pour les douleurs postopératoires et procédurales des enfants jusqu’à l’âge de 5 ans.
  • DAN (Douleur Aiguë nouveau-né à terme et prématuré) : comporte 3 items comportementaux : réponses faciales, mouvements des membres et l’expression vocale de la douleur.
  • OPS (Objective Pain Scale) pour la douleur post-opératoire des enfants âgés de 1 à 13 ans. Le seuil de prescription est de 3/10.

Récapitulatif :

Tranches d’âge :Types d’évaluation :Outils recommandés :
0 à 3 ans :HétéroévaluationFLACC
EVENDOL
NFCS
DAN  

3 à 6 ans :Semi-autoévaluationÉchelles des visages (Wrong-Baker)  
> 6 ans :AutoévaluationEVA
EN
EVS.  

Rôle de linfirmier :

En tant qu’infirmier, vous devez évaluer la douleur dès votre première rencontre avec votre petit malade.

Il s’agit ensuite de la réévaluer régulièrement tout au long de la prise en charge, mais aussi avant la mobilisation ou les soins, et à distance de la situation anxiogène ou douloureuse, afin de vérifier l’efficacité de la prise en charge, et de la réajuster si nécessaire.

Vous devez vous référer à la même échelle tout au long de la prise en charge, et l’utiliser conformément aux recommandations en vigueur.

Pensez aussi à consigner vos évaluations dans le dossier de soins (traçabilité) et à transmettre vos observations au médecin.

Concernant la cotation des actes, n’oubliez pas de facturer la MIE pour vos patients de moins de 7 ans.

Les recommandations actuelles reposent sur des stratégies de soins et de prévention de la douleur aiguë, qui combinent des approches physiques, psychologiques et médicamenteuses.

Ces stratégies doivent être personnalisées et centrées sur la famille.

1. Médicaments les plus utilisés :

Certains médicaments peuvent être prescrits seuls, en association, en complément des approches physiques et psychologiques accessibles, et en fonction de l’intensité de la douleur.

Parmi les antalgiques les plus recommandés, on retrouve les :

Médicaments de premier recours :

  • Paracétamol : antalgique de palier 1, indiqué pour les douleurs légères à modérées, utilisé dès la naissance, souvent en première intention.
  • Ibuprofène (AINS) : palier 1, utilisé pour les douleurs modérées, en association ou en alternative au paracétamol, dès l’âge de 3 mois.

En cas d’échec :

  • Opioïdes faibles (tramadol) : recommandés (avec prudence), en cas de douleurs modérées à sévères, et en seconde intention.
  • Morphine orale : palier 3, recommandée pour les douleurs aiguës sévères, notamment en urgence, et avec une surveillance adaptée.

Protocoles hospitaliers :

  • Solution sucrée à 30 % + tétine, pour les soins invasifs chez le nourrisson.
  • Patchs et crèmes anesthésiques appliqués localement avant les gestes invasifs pour réduire la douleur (ponctions, injections).
  • Analgésie gazeuse (MEOPA = mélange équimoléculaire oxygène-protoxyde d’azote) : utilisée comme analgésique et anxiolytique pour les soins douloureux courts (ponctions, perfusions), chez l’enfant avec un bon profil bénéfice-risque.

Encadré pratique : Posologies usuelles

Médicaments :Voie d’administration :Posologie :CI principales :
ParacétamolPer os
Intraveineux
10-15 mg/kg/6hInsuffisance hépatique sévère
IbuprofènePer os5-10 mg/Kg/6-8hÂge < 3 mois Déshydratation
Infection sévère.
MorphinePer os
Intraveineux
Au début : 0,1 mg/Kg/4-6hDépression respiratoire Doses mal adaptées.

À noter que la douleur aiguë peut se chroniciser : 11 % des enfants développent des douleurs neuropathiques postopératoires à 3 mois.

2. Effets indésirables et précautions :

Pour limiter les risques, vous mettez en place une surveillance clinique accrue des effets secondaires des traitements : saturation, vigilance neurologique, fonctions digestives…

La règle d’or est de vérifier que les posologies sont bien adaptées aux poids et âges.

Les approches complémentaires sont surtout basées sur :

  • La relaxation, la respiration guidée, l’hypnose conversationnelle.
  • La préparation de l’enfant : environnement calme, présence active des parents.
  • Le recours aux techniques de distraction : vidéos, bulles, jeux, réalité virtuelle.

Il est également crucial d’informer et de former les parents, qui sont un atout de taille dans l’évaluation et la gestion de la douleur de leur enfant.

Chez les tout-petits, qu’ils connaissent mieux que n’importe qui d’autre, leur perception est souvent fiable.

D’ailleurs, les recommandations actuelles vont dans ce son sens, et mettent l’accent sur l’importance de l’éducation thérapeutique des parents : reconnaissances des signes de douleur, utilisation appropriée des outils validés et information sur l’antalgie …

Les erreurs les plus fréquemment rencontrées sont :

  • L’utilisation d’une échelle inadaptée à l’âge.
  • L’absence d’évaluation systématique.
  • Le sous-dosage des antalgiques par peur des effets secondaires.
  • L’oubli de la réévaluation de l’efficacité du traitement après son administration.
  • L’absence de traçabilité dans les dossiers de soins.

À noter qu’aux Urgences, la douleur n’est pas évaluée chez 3O% des enfants, à peine plus de 4 dossiers médicaux sur 10 mentionnent un score douleur, et seuls 4 enfants sur 10 souffrant de douleurs modérées à sévères reçoivent un antalgique.

Certaines situations doivent vous alerter :

  • Douleurs aiguës persistantes malgré traitement adapté.
  • Suspicion de SDRC, douleurs post-opératoires prolongées.
  • Douleurs fonctionnelles avec retentissement important…

Dans ces cas, vous adressez votre patient à un centre spécialisé dans la douleur pédiatrique, ou vous l’orientez vers un psychopédiatre ou une unité de douleur-soins palliatifs.

Nous venons de le voir, l’évaluation est une étape essentielle de la prise en charge de la douleur. Et, en tant qu’infirmier, votre jouez un rôle crucial dans le repérage, l’évaluation et la gestion des douleurs aiguës pédiatriques.

La rigueur dans l’évaluation, la maîtrise des outils et la coopération avec les familles sont les clés d’une prise en charge efficace.

Si les outils diagnostiques et de suivi ont permis d’améliorer ces prises en charge, elles restent encore inégales.

Il est donc nécessaire de former les professionnels aux protocoles antalgiques pédiatriques et à l’évaluation, pour les intègrer pleinement dans les pratiques.

Alors, si vous aussi vous souhaitez relever ce défi de santé publique, actualiser vos connaissances ou acquérir de nouveaux outils, n’hésitez pas à vous inscrire à l’une de nos actions de formation dédiées.

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Sources :

https://www.has-sante.fr/HAS

Vidal

Pediadol

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