Malgré le développement des formes orales et des perfusions ambulatoires, l’injection intramusculaire (IM) garde une place incontournable dans la prise en charge des infections, notamment en médecine d’urgence ou en pédiatrie.
Derrière ce geste apparemment simple de votre quotidien d’infirmier se cachent des précautions techniques, pharmacologiques et légales, qui peuvent entraîner des conséquences graves si elles ne sont pas respectées.
Parce qu’administrer un antibiotique en IM ce n’est pas seulement « piquer » dans un muscle : c’est bien choisir le site d’injection, sécuriser la préparation et le geste technique mais aussi anticiper la douleur, informer et accompagner votre patient, s’assurer que le traitement prescrit est bien toléré et efficace, tracer vos actes, et alerter en cas de complications.
Alors, que se cache-t-il derrière l’injection intramusculaire d’antibiotique, cet acte banal de votre quotidien ? Revoyons ensemble ses points clés.

Qu’est-ce qu’une injection intramusculaire d’antibiotique ?
L’injection intramusculaire consiste à administrer un médicament directement dans un muscle : vaccins, neuroleptiques, sédatifs, vitamines…, et les antibiotiques, qui font partie des molécules classiquement administrées par voie IM.
Quand utiliser une injection intramusculaire d’antibiotique ?
Indications courantes
Les principales indications sont :
- Les infections aiguës nécessitant une action rapide : angines streptococciques, méningites bactériennes, certaines pneumonies communautaires, les infections urinaires fébriles ou certaines infections des tissus mous (cellulite, abcès cutanés),
- L’impossibilité d’utiliser la voie orale : vomissements persistants, malabsorption, troubles de conscience, troubles de la déglutition, patients non-coopérants ou qui refusent/oublient la prise orale (personnes âgées, enfants en bas âge), situations sociales compliquées.
- Traitement nécessitant une libération prolongée ou prophylaxie : syphilis, prophylaxie du rhumatisme articulaire aigu.
Dans les situations où l’observance est incertaine, la mono-injection intramusculaire permet de garantir la délivrance complète du traitement. |
Avantages de la voie IM
La voie intramusculaire permet une absorption prédictible et plus rapide grâce à la riche vascularisation musculaire.
Elle est utile quand la voie orale est impossible ou l’IV disproportionnée.
Elle favorise l’observance et contourne le premier passage digestif/hépatique, ce qui en fait un atout en cas de troubles digestifs ou hépatiques.
Limites :
Le geste reste douloureux (volumes élevés, solutions visqueuses) et inadapté aux traitements prolongés (toxicité locale, inconfort).
Quels antibiotiques sont administrés par voie IM ?
Les principaux antibiotiques intramusculaires :
Céphalosporines de 3e génération
Molécule : | Indications : | Posologie : | Recommandations : |
Ceftriaxone (ex Rocéphine®) | Infections ORL sévères, infections urinaires compliquées, septicémies, gonorrhée (dose unique). | Adultes : 1 à 2 g/j en 1 injection. Gonorrhée : 1 g IM en dose unique. | Glutéal profond. Deltoïde possible pour petits volumes. Reconstitution avec Lidocaïne 1% pour réduire la douleur, sauf contre-indication (allergie, troubles du rythme, etc.). Ne pas dépasser >1 g par site (confort/tolérance). Ne jamais mélanger avec des solutions calciques. Utilisé en relais du traitement IV, en seconde intention, sauf dans certains cas précis (gonorrhée). |
Pénicillines retard
Molécules : | Indications : | Posologie : | Recommandations : |
Benzathine benzylpénicilline (Extencilline® / Bicillin® LA) | Syphilis. Prophylaxie du rhumatisme articulaire aigu (RAA). | Syphilis précoce : 2,4 MUI en dose unique. Syphilis tardive ou latente d’ancienneté indéterminée : 2,4 MUI (IM hebdomadaire) × 3. Prophylaxie du RAA : 1,2 MUI toutes les 4 semaines (3 semaines si haut risque). | Glutéal profond, ventroglutéal si possible. Injection souvent fractionnée 1,2 MUI par fesse (confort). Informer du risque de réaction de Jarisch-Herxheimer (fièvre, frissons, myalgies, céphalées dans les 24 h) : bénigne et transitoire. Prise d’antipyrétiques possible. |
Aminosides (usage ciblé)
Molécules : | Indications : | Posologie : | Recommandations : |
Gentamicine Amikacine | Infections sévères | Gentamicine : 3 à 5 mg/kg/jour, souvent en association. | Voie IV privilégiée, (meilleure maîtrise des pics). Voie IM possible mais exceptionnelle, sous surveillance stricte, et sur des durées les plus courtes possibles. Adapter à la fonction rénale, dosages résiduels selon protocole, surveillance créatininémie : néphrotoxicité. Ototoxicité. |
Macrolides :
Certains macrolides comme l’érythromycine peuvent également être injectés en IM (deltoïde, vastus, petits volumes), selon protocole local, quand la voie orale est impossible.
Tous les antibiotiques ne s’injectent pas en IM. Les posologies dépendent de l’âge, du poids, de l’état clinique et du type d’infection. Il est impératif de vérifier les recommandations HAS/CDC/OMS ou les protocoles hospitaliers et locaux. Sauf exception, on ne mélange pas deux molécules dans la même seringue. |
Comment réaliser une injection intramusculaire d’antibiotique ?
Préparation (check-list rapide)
Prescription et indications : | Molécule, posologie, fréquence, durée… |
Patient : | Identité, poids (si dose/poids), antécédents (allergiesβ-lactamines/lidocaïne, anticoagulants, troubles de la coagulation), consentement éclairé. |
Matériel stérile : | Seringue adaptée, aiguille IM (longueur et calibre selon morphotype et site), antiseptique (alcoolique), compresses, pansement, collecteur DASRI. |
Asepsie rigoureuse : | Hygiène des mains, désinfection cutanée en un passage du centre vers la périphérie, laisser sécher. |
Reconstitution du produit : | Si nécessaire, conformément à la notice (diluant, volume, concentration, stabilité, jamais IV si solvant lidocaïne). |
Aucun antibiotique IM ne doit être administré sans indication claire. |
Technique (pas à pas)
1. Installer le patient (assis, décubitus latéral, ventral selon site et confort).
2. Repérer précisément le point d’injection (repères anatomiques).
3. Tendre la peau (voire réaliser un « trajet en Z » si indiqué).
4. Désinfecter la peau.
5. Introduire l’aiguille à 90°, profondément.
6. Aspiration selon recommandations actuelles.
7. Injection lente pour réduire la douleur et améliorer la diffusion (repère pratique : ~1 ml / 10 s).
8. Maintenir quelques secondes, poser une compresse sur le site, retirer l’aiguille.
9. Ne pas masser.
10. Pansement sec, élimination sécurisée du matériel.
11. Surveillance de la tolérance locale et générale immédiate.
Focus sur la technique « trajet en Z » : Elle peut limiter le reflux de produit vers l’hypoderme, et réduire l’irritation cutanée et quelques douleurs locales. Elle est surtout utile pour les produits pigmentés ou irritants ou en cas de volumes plus importants. |
Documentation
Une fois réalisée, tracez immédiatement l’IM : date/heure, molécule, dose, lot, péremption, site, tolérance, conseils donnés.
La traçabilité sécurise la continuité des soins et la pharmacovigilance.
Récapitulatif express de la procédure IM
Vérifications : | Ordonnance, indication, patient, allergies, contre-indications. |
Préparation : | Reconstitution conforme, asepsie stricte, choix de la seringue, de l’aiguille et du site. |
Injection : | 90°, lente, sans aspiration en deltoïde et ventroglutéal, sans massage. |
Surveillance : | Réactions locales et systémiques immédiates. |
Traçabilité : | Site, dose, heure, lot, péremption, tolérance, conseils (éducation). |
Doit-on encore aspirer quand on injecte un produit en intramusculaire ? Les recommandations actuelles (OMS, CDS, HAS, Infovac) ne préconisent plus l’aspiration pour l’injection IM de vaccin dans le deltoïde et le ventroglutéal (douleur augmentée sans bénéfice démontré.). Les notices (RCP) de certains antibiotiques ne la mentionnent plus non plus, mais rappellent l’importance de la sélection du site et de respecter les précautions. En revanche, quand le dorsoglutéal est utilisé faute de mieux, certains protocoles tolèrent une brève aspiration par prudence. La seule règle sûre aujourd’hui est de se référer au RCP de l’antibiotique à administrer et de se conformer au protocole de service. |
Sites d’injection et précautions :
Les sites intramusculaires utilisés sont le :
Sites : | Points positifs : | Points négatifs : |
Deltoïde : (adultes, adolescents) | Rapide Accessible Préférer ≤ 2 ml. | Petit volume. Éviter les solutions très visqueuses. |
Ventroglutéal : Site de prédilection | Volumes moyens à grands : 3 à 5 ml selon le morphotype et la viscosité du produit. Éloigné du nerf sciatique. Bonne tolérance. Moins de risque de contact osseux ou d’injection sous-cutanée qu’avec le dorsoglutéal. | Requiert un repérage anatomique rigoureux. |
Vaste externe (cuisse) : | Site de choix chez le nourrisson. Facile d’accès chez les personnes alitées. | Douleur parfois plus marquée chez l’adulte actif. |
Précautions techniques
Les principales précautions techniques sont de :
- Ne pas dépasser 5 ml par site (privilégier fractionnement si nécessaire).
- Adapter la longueur d’aiguille au morphotype. Par exemple, chez le patient obèse, on choisit une aiguille plus longue pour garantir le plan musculaire.
- Injection lente, ne pas masser.
Contre-indications à la voie IM
Les principales contre-indications sont :
- Les troubles de la coagulation (hémophilie, thrombopénie sévère).
- L’anticoagulation non contrôlée (évaluer/adapter selon protocole médical).
- L’atrophie musculaire marquée ou les lésions locales (inflammation, plaie, cicatrice, hématome).
- Les antécédents d’allergie au médicament ou à l’éventuel solvant (ex. lidocaïne pour ceftriaxone IM).
Effets secondaires et complications possibles
Les principaux effets secondaires et complications sont :
Les réactions locales :
- Douleur, induration, irritation locale, érythème : fréquents mais transitoires.
- Hématome : lié à une ponction vasculaire accidentelle ou un trouble de coagulation.
- Lésion nerveuse, risque d’injection en intra-artériel ou en intra-veineux quand le geste est mal exécuté.
- Infection locale/abcès : asepsie insuffisante.
- Nécrose tissulaire/irritation : solution hypertonique/visqueuse, injection trop rapide ou dépôt sous-cutané.
Les réactions systémiques
- Réaction allergique : urticaire, œdème, anaphylaxie (urgence).
- Réaction neurovégétative : malaise vagal (exceptionnel).
- Réaction de Jarisch-Herxheimer après traitement de la syphilis : syndrome fébrile transitoire dans les 24 h, non allergique, prévenir le patient.
Conduites à tenir :
- Douleur ou tuméfaction > 48 h : avis médical.
- Suspicion d’anaphylaxie : adrénaline IM immédiate + SAMU (15).
- Pharmacovigilance : déclarer tout effet indésirable grave sur le portail dédié.
Douleur : comment anticiper et soulager (sans trahir la technique)
Pour prévenir la douleur, vous disposez de plusieurs leviers :
- Explication du geste.
- Réassurance.
- Relaxation/respiration profonde avant l’injection.
- Respect de la technique : injection lente (~1 ml/10 s), choix de l’aiguille, pas de produit sur l’aiguille avant de piquer pour éviter l’agression des tissus, pas de massage post-injection.
- Antalgie si besoin, selon pratique locale (p. ex. stimulation cutanée type « Shotblocker® »), en respectant l’asepsie.
Rôle infirmier :
Au-delà de l’acte technique, vous jouez un rôle clé dans :
- L’information du patient : expliquer le traitement, ses bénéfices et ses risques.
- La prévention des résistances : rappeler l’importance d’un traitement complet, même si les symptômes disparaissent.
- L’accompagnement psychologique : rassurer face à la douleur de l’injection, répondre aux questions.
- La détection précoce des complications : évaluer à chaque passage la tolérance et l’évolution.
À noter : Vérifier l’ordonnance et les recommandations/précautions/contre-indications des substances que vous administrez. N’oubliez pas que vous avez aussi un droit de regard et d’alerte sur une prescription médicale. |
Points « sécurité et qualité » à retenir :
– Respecter strictement la notice (solvant, volume, concentration, incompatibilités). – Ne jamais mélanger des médicaments dans la même seringue sauf indication contraire du fabricant. – Adapter le site, la longueur d’aiguille, le volume au morphotype du patient et à la viscosité du produit. – Tracer systématiquement (dose, lot, site, heure, tolérance) et informer le patient (douleur attendue, signes d’alerte). – Aminosides : fonction rénale / audition sous surveillance, adaptation posologique, durées courtes. |
Questions fréquentes (FAQ)
Est-ce que l’injection va faire mal ?
Une douleur modérée est habituelle, surtout au niveau du fessier et pour les solutions visqueuses. Elle disparaît en quelques heures. Une compresse froide peut soulager la douleur.
Puis-je faire l’injection moi-même ?
Non. Il s’agit d’un acte infirmier ou médical. L’auto-injection n’est autorisée que dans des protocoles exceptionnels encadrés.
Et après l’injection ?
Ne pas masser. Surveiller la zone (rougeur, chaleur, douleur) et l’état général (allergie). Prévenir immédiatement en cas de signes d’anaphylaxie (dyspnée, malaise, urticaire généralisée).
Combien de temps avant que l’antibiotique agisse ?
Selon la molécule, l’effet débute en 1 à 4 heures. L’amélioration clinique se voit souvent en 24-48 h (si l’indication est correcte et l’agent sensible).
Pour conclure…
Nous venons de le voir, l’injection intramusculaire d’antibiotiques reste un outil incontournable quand la voie orale ou intraveineuse n’est pas possible.
L’injection intramusculaire, ce n’est pas simplement piquer dans un muscle.
C’est aussi administrer un médicament prescrit pour une pathologie précise, à un patient particulier, avec des effets indésirables possibles et des précautions à prendre.
Elle engage votre responsabilité et la sécurité du patient parce que c’est un soin global qui exige rigueur, précision, vigilance et pédagogie. C’est informer, expliquer, accompagner, apaiser, soulager. C’est surveiller, prévenir, tracer, alerter. C’est tout sauf cet acte presque banal de votre quotidien infirmier.
Enfin, les recommandations évoluent, et les protocoles aussi, alors pensez à actualiser régulièrement vos connaissances pour sécuriser votre exercice et vos patients.
Pour terminer, si cet article vous a plu, n’hésitez pas à le partager autour de vous.
Sources :
HAS : Rocéphine
Base de Données Publiques des Médicaments : Ceftriaxone et Gentamicine
Vidal : Benzathine benzylpénicilline
Infovac : vaccins
SPILF : techniques d’injection