En France, près de 3 millions de personnes souffrent de dénutrition : un tiers d’entre elles sont âgées de plus de 70 ans.
Elle touche 4 à 10 % des séniors vivant à leur domicile, 15 à 38 % de ceux placés en institution, et 30 à 70% des personnes âgées hospitalisées.
Véritable problème de santé publique, qui impacte la qualité de vie de nos ainés, et qui pèse lourd sur nos Finances publiques, cette maladie reste pourtant sous-diagnostiquée.
Si elle est simple à reconnaître, et à évaluer grâce aux outils disponibles, elle est encore plus simple à traiter quand elle est détectée précocement.
Alors, quels sont les impacts de la dénutrition, et comment la prévenir et la prendre en charge ?
C’est ce que nous verrons ci-après.
Quelles sont les principales conséquences de la dénutrition ?
Définition :
Tout d’abord, rappelons que la dénutrition est une perte de poids involontaire qui entraîne un déséquilibre nutritionnel de l’organisme.
Elle majore non seulement la morbidité (chutes, fractures, hospitalisations, infections…), mais aussi la perte d’autonomie, qui elles-mêmes influent sur la dénutrition.
Lutter contre ce cercle vicieux n’est pas simple, et le mieux est encore d’agir en amont.
On parle de dénutrition quand on retrouve à l’examen clinique au moins 1 critère phénotypique (c’est à dire physique), associé à un critère étiologique.
Elle est considérée comme sévère en présence d’au moins un des critères suivants :
- Un IMC < à 20 kg/m2
- Une perte de poids ≥ à 10% en 1 mois ou ≥ à 15% en 6 mois
- Une albuminémie inférieure à 30 g/l.
Outils diagnostiques :
Pour évaluer le risque de dénutrition, la HAS a validé plusieurs outils, parmi lesquels :
- Le MNA (Mini Nutritional Assessment), que vous connaissez et utilisez déjà au domicile, et qui est intégré au BSI. Un score inférieur à 17 est le signe d’un mauvais état nutritionnel.
- Le MST (Malnutrition Screening Tool) : est utilisé à l’hôpital, et plus particulièrement à l’entrée du patient suspecté à risque. Il s’agit d’un questionnaire à 2 items (pertes de poids et d’appétit). Un score ≥ à 2 révèle un risque de dénutrition.
- Le MUST (Malnutrition Universal Screening Tool) est également utilisé en milieu hospitalier. Il tient compte de la présence d’une pathologie chronique. En présence d’un score > à 2, il y a un risque de dénutrition.
- Le NRS-2002 (Nutritional Risk Screening 2002) : un score > à 37 nécessite de débuter rapidement une prise en charge nutritionnelle.
La dénutrition entraîne de nombreuses conséquences pour la santé.
Elle a un impact à la fois physique, psychologique, mais aussi économique et social.
Impacts physiques :
Sarcopénie et mobilité réduite :
La dénutrition affaiblit le corps, et peut entrainer une baisse de la masse et de la force musculaire. On parle alors de sarcopénie.
Elle provoque une faiblesse généralisée, des difficultés motrices et des risques accrus de chutes, de fractures ou d’escarres.
Retard de guérison :
La dénutrition influe également sur la cicatrisation, surtout en présence d’une baisse des taux de préalbumine et d’albumine, source d’acides aminés dont on connait le rôle crucial dans les processus de cicatrisation.
Une albuminémie inférieure à 35g/l peut ralentir la cicatrisation, et entrainer des complications, notamment en post-opératoire.
Affaiblissement immunitaire :
Elle cause aussi une baisse des défenses immunitaires, ce qui augmente le risque infectieux : pneumonies, infections urinaires…
Carences en micronutriments :
Avec la diminution des apports nutritionnels, on observe fréquemment des carences en micronutriments, indispensables à l’organisme.
Leurs déficits affectent la densité osseuse (fragilisant les os, développant une ostéoporose…) et l’équilibre métabolique : vitamine D, fer, zinc, calcium …
Impacts psychologiques :
Dépression et isolement social :
La dénutrition, et la perte d’autonomie qu’elle induit, impacte non seulement la mobilité, mais elle provoque aussi un repli sur soi, et un sentiment de culpabilité voire de honte.
L’état psychologique se fragilise en même temps que l’organisme, et que les activités quotidiennes baissent.
Notre aîné finit par s’isoler, perdre tout intérêt, et devenir apathique et dépressif.
Un deuil peut aussi conduire à l’isolement et à une perte d’appétit.
Déclin cognitif :
D’autre part, certaines études ont montré qu’une carence en vitamines du groupe B (dont la B6 et la B12) et en omega-3 majorait le déclin cognitif, et notamment les troubles neurocognitifs comme la maladie d’Alzheimer, et la démence.
Impacts sociaux et économiques
Perte d’autonomie :
Avec la perte d’autonomie, le besoin d’aide pour accomplir les gestes de la vie quotidienne augmente : repas, déplacements…
Qui plus est, en l’absence d’un proche aidant, le sénior peut être en difficulté à son domicile, et être placé prématurément en institution.
C’est d’ailleurs ce point que redoutent le plus nos aînés, et qui majore le repli sur soi et l’isolement, ou les risques d’accidents et de chutes chez ceux qui veulent démontrer qu’ils sont encore capables de se débrouiller seul, et de rester chez eux.
À noter que la perte d’autonomie de votre patient peut aussi impacter son aidant naturel, qui doit parfois réduire son activité professionnelle pour accompagner son proche : le voir diminué ou le laisser seul en dehors de ses temps de présence peut causer un stress.
Coût pour le système de santé :
Enfin, la dénutrition, la perte d’autonomie qu’elle génère, et les complications qu’elle peut favoriser peuvent induire des hospitalisations, souvent prolongées, ou nécessiter des traitements plus lourds ou plus longs, et des soins ou des dispositifs nutritionnels spécifiques, qui alourdissent les coûts du système de santé.
En Europe, son surcoût hospitalier est d’ailleurs estimé à 1 640 et jusqu’à 5 829 euros par patient, soit 2,1 à 10 % des dépenses de santé ou un coût total d’environ 170 milliards d’euros.
Aujourd’hui, la prévention est le principal levier sur lequel agir pour lutter contre ce fléau.
Mais, renforcer la formation de l’ensemble des acteurs socio-médicaux, et des familles, afin qu’ils identifient rapidement le risque de dénutrition est également très important.
Les mécanismes physiopathologiques de la dénutrition :
Outre le déficit d’apports énergétiques et protéiques isolé, la dénutrition peut être favorisée par différents problèmes comme :
L’altération de l’absorption nutritionnelle :
Avec le vieillissement physiologique, et l’avancée en âge, le métabolisme ralentit, et les nutriments sont donc moins bien assimilés.
Qui plus est, votre patient peut souffrir de troubles digestifs chroniques qui perturbent l’absorption des nutriments et augmentent les pertes, contribuant à ou aggravant une dénutrition.
À noter que si les pertes peuvent être d’origine digestive dans les cas de malabsorption, de mal-digestion ou de diarrhées, elles peuvent aussi être d’origine urinaire en cas de diabète, de néphropathies glomérulaires ou de cirrhose.
La vigilance est donc recommandée en présence de ces pathologies.
Des déséquilibres hormonaux :
Des déséquilibres hormonaux comme une diminution des signaux de la faim (ghréline) et de la satiété peuvent aussi induire ou impacter une dénutrition.
Une interaction avec les pathologies chroniques :
Certaines maladies chroniques comme un diabète, un cancer ou une insuffisance cardiaque, peuvent induire une anorexie, ou augmenter les besoins énergétiques. D’autres, plus aiguës, comme les maladies infectieuses inflammatoires, les brûlures, les traumatismes ou encore les interventions chirurgicales, réclament une attention nutritionnelle particulière (catabolisme protéique).
À noter qu’un mauvais état bucco-dentaire, une affection buccale non traitée (candidose, sécheresse…) ou un mauvais appareillage, ainsi qu’une polymédication peuvent également provoquer ou majorer une dénutrition.
Certains traitements prescrits peuvent aussi engendrer une somnolence, des troubles digestifs ou une sécheresse buccale. Il faut en tenir compte lorsque vous réalisez votre anamnèse.
Pour conclure, les trois principaux mécanismes qui conduisent à la dénutrition sont ceux qui :
- Réduisent les apports alimentaires : mauvais état bucco-dentaire, troubles de la déglutition, troubles cognitifs, polymédication, régime restrictif…
- Augmentent les besoins nutritionnels : insuffisance d’organe sévère et chronique, inflammations chroniques, cancers, périodes de catabolisme protéique …
- Augmentent les pertes : malabsorption, mal-digestion, diarrhées, vomissements…
Tableau récapitulatif des facteurs de risque :
Facteurs de risques : | Exemples : |
Physiques et mécaniques : | – Mauvais état bucco-dentaire – Troubles de la déglutition – Perte de mobilité – Dépendance … |
Psychologiques : | – Deuil – Isolement – Repli sur soi – Projet d’entrée en institution – Dépression – Troubles cognitifs – Troubles du comportement – Démence – Alcoolisme – Troubles du comportement alimentaire … |
Sociales : | – Faibles revenus – Absence d’aidants ou d’intervenants – Environnement inadapté : cuisine non adaptée, logement insalubre… – Mauvaises habitudes alimentaires liées à l’environnement social – Repas portés non équilibrés – Absences d’activités … |
Maladies chroniques : | – Cancers – Hémopathie maligne – Insuffisances cardiaque, respiratoire, hépatique, rénale, pancréatique … – Pathologies digestives chroniques ou antécédent de chirurgie digestive lourde (grêle court, chirurgie bariatrique, pancréatectomie, gastrectomie…) – Dysphagie, sensation de satiété précoce… – Pathologies neuromusculaires, polyhandicap – Diabète – Syndrome inflammatoire – Dyspnée – VIH/Sida – Douleur rebelle et chronique. |
Maladies aiguës : | – Intervention chirurgicale – Brûlures – Plaies (escarres) – Traumatismes Sepsis ou maladies infectieuses et inflammatoires – Nausées, vomissements, diarrhées, Fécalome |
Traitement : | – Traitement anticancéreux : chimiothérapie, radiothérapie… – Corticothérapie > 1 mois – Polymédication > 5 |
Exemples concrets de parcours de soins
Cas pratique 1 : Une patiente isolée avec perte d’appétit post-deuil
Mme C.G, 66 ans, est veuve depuis 1 mois. Son époux est décédé des suites d’une longue maladie.
Ses enfants, qui ont repris leurs activités habituelles, sont moins présents depuis une semaine.
En un mois, Mme C. G a perdu l’appétit et 5 kg.
Inquiet, son fils aîné a appelé le médecin de famille, qui a prescrit un suivi à domicile par une infirmière.
Lors de votre première intervention, vous évaluez le risque de dénutrition grâce à votre recueil de données et au MNA.
Puis, vous conseillez à Mme C.G d’introduire des collations enrichies pour compléter ses repas.
Pour l’accompagner à traverser cette douloureuse épreuve, et avec son accord, vous lui recommandez une collègue psychologue, spécialiste du deuil.
Ensuite, vous mettez en place un suivi hebdomadaire basé sur une surveillance de l’état clinique (poids, IMC…) et nutritionnel (relève des apports alimentaires), et l’éducation (conseils nutritionnels, exemple de menus, risques pour la santé…).
Enfin, vous initiez une coordination avec le médecin traitant et la psychologue.
Cas pratique 2 : Un patient hospitalisé pour fracture de hanche
À la suite d’une chute, votre patiente de 95 ans s’est fracturé la hanche, et a été hospitalisée 8 jours. Une dénutrition s’est installée durant son séjour hospitalier, malgré le suivi nutritionnel, et l’ajout de suppléments protéiques.
De retour à son domicile, vous contrôlez le poids, et les différents paramètres liés à la dénutrition.
Vous appliquez les recommandations préconisées par le praticien hospitalier, et faites le lien avec l’équipe gériatrique, à qui vous transmettez vos évaluations et observations.
Pour conclure…
Comme nous venons de le voir, la situation sociale, psychique et/ou pathologique de votre patient âgé peut induire ou impacter une dénutrition.
Quand elle n’est pas diagnostiquée précocement, et prise en charge rapidement, elle fragilise votre patient, diminue ses défenses naturelles, augmente le risque infectieux, celui des complications médico-chirurgicales, et ralentit la guérison des maladies curables.
La dépister est donc une priorité, et un enjeu majeur de santé publique.
Et, votre rôle est capital pour la prévenir ou la détecter, et pour protéger vos patients contre cette menace qui met leur vie en danger.
Aujourd’hui, vous devez donc intégrer dans votre pratique quotidienne, les outils validés par la HAS, pour dépister vos patients à risque, et devez travailler en collaboration avec le médecin et les équipes pluridisciplinaires pour impliquer tous ces intervenants dans la prise en charge de vos patients dénutris.
Enfin, si vous souhaitez approfondir vos connaissances sur la dénutrition, ses mécanismes, ses conséquences et sa prise en charge, vous pouvez vous inscrire à une de nos actions de DPC.
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Source :
Fédération Française de nutrition
Programme National Nutrition Santé (PNNS)
Pour les personnes âgées : https://www.pour-les-personnes-agees.gouv.fr