En France, la dénutrition est la maladie qui touche le plus fréquemment les séniors.
Sur les plus de deux millions de personnes dénutries, 20 à 25 % sont des personnes âgées de plus de 70 ans quivivent seules. Et, on estime qu’une personne âgée de plus de 75 ans sur 5, sera dénutrie d’ici à 25 ans.
La dénutrition est responsable de nombreuses complications dont la perte de l’autonomie, les chutes à répétition ou encore la fragilité immunitaire.
Pourtant, elle reste encore méconnue et mal diagnostiquée.
Aujourd’hui, 40% des motifs d’hospitalisation des personnes âgées découlent des conséquences de la dénutrition.
Pour remédier à ce problème de santé publique, la HAS et la FFN ont réactualisé les recommandations en matière de dépistage en 2019.
Et, dans cette continuité, elles ont poursuivi leur démarche afin de sensibiliser les professionnels de santé aux bonnes pratiques, en faisant encore évoluer les critères diagnostiques de la dénutrition et les outils.
Alors, comment poursuivre les efforts initiés pour diagnostiquer la dénutrition, et baisser la mortalité qu’elle induit encore trop souvent ?
C’est ce que nous verrons ci-après, en reprenant les principaux critères et outils qui permettent de la reconnaître, et d’agir rapidement.
Définition de la dénutrition :
Définition :
La dénutrition est l’état de déséquilibre nutritionnel de l’organisme, c’est à dire un bilan énergétique et/ou protéique négatif.
Elle est principalement due à un ou plusieurs de ces facteurs :
‒ un déficit d’apport protéino-énergétique ;
‒ une augmentation des dépenses énergétiques totales ;
‒ une augmentation des pertes énergétiques et/ou protéiques.
L’isolement social, la dépendance, une ou plusieurs pathologies chroniques ou évolutives peuvent aggraver la dénutrition, et inversement.
Critères diagnostiques :
Le diagnostic de dénutrition nécessite la présence d’au moins 1 critère phénotypique et 1 critère étiologique. Ce diagnostic est un préalable obligatoire pour évaluer sa sévérité.
Les critères phénotypiques reposent exclusivement sur des critères non biologiques.
Les cinq critères principaux sont :
- La perte de poids involontaire,
- La diminution de l’IMC,
- La baisse de la masse musculaire,
- La réduction des apports alimentaires ou de l’absorption,
- La présence d’une maladie ou d’une inflammation.
À noter qu’une personne souffrant d’obésité peut être dénutrie.
Facteurs de risque :
Ils sont importants à connaître pour pouvoir les associer à un risque de dénutrition potentiel. On y retrouve essentiellement les pathologies graves, chroniques ou évolutives telles que :
- Les cancers,
- Les insuffisances sévères (cardiaque, respiratoire, rénale et/ou hépatique),
- Les pathologies digestives qui induisent une malabsorption/mal digestion, et
- Les pathologies inflammatoires ou infectieuses chroniques (pathologie rhumatismale, tuberculose…).
Il faut également tenir compte du fait que la composition de la masse corporelle change avec le vieillissement physiologique : la masse maigre diminue, tandis que la masse grasse augmente.
En revanche, la baisse isolée de la force musculaire n’est pas forcément le signe d’une dénutrition. Elle peut être induite par différentes pathologies comme l’arthrose ou la maladie de Parkinson, par exemple.
Pour que ce critère soit objectif, la force musculaire et la masse musculaire doivent être impactées : c’est la sarcopénie.
Tableau récapitulatif basé sur les recommandations de la HAS et la FFN :
≥ 1 critère phénotypique | ≥ 1 critère étiologique | Sévérité |
Perte de poids d’au moins : – 5% en 1 mois ou – 10% en 6 mois ou par rapport au poids antérieur à la maladie. | – Baisse de la prise alimentaire de moitié pendant plus d’une semaine. – Baisse des apports, quelle qu’en soit la quantité, pendant plus de 2 semaines. | Perte de poids : ≥ 10% en 1 mois ≥ 15% en 6 mois ou par rapport au poids habituel antérieur à la maladie. |
IMC < 22 kg/m2 | Absorption diminuée : – Malabsorption – Mal digestion | IMC < 20 kg/m2 |
Sarcopénie confirmée | Agression de l’organisme avec ou sans syndrome inflammatoire : – Maladie aigue – Maladie chronique – Pathologie maligne évolutive. | Albuminémie ≤ 30g/l. |
Pourquoi les IDEL sont au cœur du dépistage ?
Leur rôle de proximité :
En tant que professionnels de proximité, intervenant régulièrement voire quotidiennement au domicile des personnes âgées, vous développez une relation privilégiée basée sur la confiance, et qui est cruciale pour déceler ce type de problème.
Surveillance continue :
Par conséquent, vous êtes aussi les premiers à pouvoir observer une évolution physique (amaigrissement, faiblesse musculaire…), et alimentaire (assiettes à peine touchées) chez vos patients.
Grâce à vos observations quotidiennes, et aux échanges constants que vous entretenez avec vos patients, vous pouvez identifier plus facilement les premiers signes de dénutrition ou les situations à risque.
Focus : En cas d’hospitalisation de votre patient, pensez à indiquer sur votre fiche de liaison, son poids de départ, son poids actuel, et le cas échéant, le diagnostic de dénutrition et sa sévérité.
Coordination des soins :
En plus d’évaluer et de solliciter vos patients pour mener à bien votre surveillance clinique, vous pouvez aussi initier une collaboration avec les aidants et les autres professionnels de santé (médecins, diététiciens).he : le voir diminué ou le laisser seul en dehors de ses temps de présence peut causer un stress.
Méthodes et outils pratiques pour les IDEL
Le dépistage de la dénutrition repose principalement sur :
- L’identification des facteurs de risque,
- L’évaluation de l’appétit et des apports alimentaires,
- La mesure des marqueurs nutritionnels.
Dans la majorité des cas, les marqueurs nutritionnels comme le poids, l’évaluation de la perte de poids, l’IMC et l’albuminémie peuvent suffire à dépister et diagnostiquer la dénutrition.
Et, lorsque le diagnostic de dénutrition est établi, il est recommandé d’en évaluer la sévérité, qui est essentiellement établie à partir des seuils d’IMC, de pourcentage de perte de poids et/ou d’albuminémie.
À noter que l’hypoalbuminémie n’est pas un critère de diagnostic de la dénutrition, mais un critère de sévérité.
Outils spécifiques :
Une fois le diagnostic posé, une prise en charge nutritionnelle adaptée doit être mise en place. Elle permet d’améliorer le poids, et de réduire les complications et la mortalité, notamment en milieu hospitalier.
Le Mini Nutritional Assessment (MNA)
Le Mini Nutritional Assessment (MNA®) est un outil de repérage spécialement élaboré pour dépister la dénutrition chez les personnes âgées. Toutefois, ce questionnaire ne constitue plus un critère diagnostique.
Calcul de l’IMC et surveillance des variations de poids :
Le poids et l’IMC doivent régulièrement être évalués pour limiter leurs variations à plus ou moins long terme, et les complications.
Pour mémoire, la formule pour calculer l’IMC est : Poids/Taille x Taille.
Dans la mesure du possible, le contrôle du poids doit toujours être fait sur le même pèse-personne, et dans des conditions similaires.
À noter qu’en cas d’infection, de chirurgie ou de baisse d’appétit ou des prises alimentaires, la surveillance nutritionnelle doit être rapprochée, à environ une fois par semaine.
Focus : Les données épidémiologiques révèlent une surmortalité chez la personne âgée dont l’IMC se situe en deçà de 22.
Observation des apports réels à travers un journal alimentaire.
L’appétit et les apports alimentaires sont un des axes prioritaires sur lesquels vous pouvez agir rapidement. Évaluer ces critères quotidiennement est primordial pour éviter la dénutrition ou son aggravation.
Fiche et journal alimentaire :
Une fiche de suivi alimentaire peut être mise en place, et alimentée par l’aidant naturel, l’auxiliaire de vie ou le patient lui-même.
L’échelle verbale :
L’évaluation peut se faire au moyen de questions simples mais clés, adaptées au degré de compréhension de votre patient. Les plus fréquemment utilisées sont :
- « Avez-vous bon appétit ? »
- « Mangez-vous moins en ce moment ? »
- « Avez-vous moins faim dernièrement ? »
- «Avez-vous perdu du poids sans le vouloir ? » …
L’échelle visuelle analogique et l’échelle semi-quantitative (portions) :
Ces outils peuvent être utiles pour coter l’appétit de votre patient.
Suivi biologique :
Il est également essentiel de suivre, noter et partager les données pertinentes comme les taux d’albumine et de préalbumine, avec le médecin traitant.
Autres ressources :
D’autres outils simples, courants, et que vous utilisez déjà au quotidien, peuvent vous alerter et vous orienter vers une possible dénutrition : l’état bucco-dentaire, la capacité de mastication, la déglutition ou encore la force musculaire (Test du lever de chaise ou mesure de la force de préhension).
Quoi qu’il en soit la surveillance nutritionnelle des personnes âgées implique le patient lui-même, les aidants, tous les professionnels de santé, et ceux du secteur médico-social concernés par la nutrition ou susceptibles de s’occuper des personnes âgées.
Surveillance du statut nutritionnel :
Paramètres : | Fréquences : |
– Mesure du poids – Calcul de l’IMC – Évaluation de l’appétit – Évaluation des prises alimentaires – Force musculaire. | – À domicile : 1 fois par mois et à chaque consultation médicale, diététique … À l’hôpital : à l’entrée et ensuite, 1 fois par semaine. – EHPAD et USLD : à l’entrée, puis 1 fois par mois. |
Interventions ciblées des IDEL à domicile
En plus de la surveillance clinique, vous serez amenés à éduquer vos patients dénutris ou leur entourage, afin de freiner le déséquilibre nutritionnel, et d’améliorer leur état de santé.
Adaptation des repas :
Pour faire face à la dénutrition, vous pouvez proposer :
- Des conseils pour enrichir les repas en protéines et en calories.
- De fractionner les repas pour éviter une sensation de satiété trop rapide.
- D’adapter les textures en cas de troubles de déglutition.
- De recourir aux compléments alimentaires ou aux services de portages de repas …
Encourager les aidants :
Concernant les aidants, vous pouvez leur apprendre à surveiller les habitudes alimentaires, et les encourager à partager le plus de repas possibles avec leur proche, afin de stimuler l’appétit.
La collaboration pluridisciplinaire : un levier pour une prise en charge efficace
La coordination avec les médecins traitants est primordiale pour mener à bien ce combat contre ce fléau qui menace nos aînés.
N’hésitez pas à signaler les cas à risque, à initier une prise en charge dans le cadre du BSI, et à transmettre vos observations cliniques au médecin traitant de vos patients.
Travail en réseau :
Il est également essentiel d’inclure dans votre prise en charge, tous les professionnels qui s’occupent de, ou qui sont susceptibles de venir en aide à vos patients dénutris.
En effet, en cas de doute ou d’absence de résultats satisfaisants, vous pouvez solliciter un avis spécialisé, en concertation avec le médecin généraliste.
Par exemple, le diététicien peut ajuster les programmes alimentaires de vos patients, tandis que le gériatre évalue les comorbidités associées à la dénutrition.
À noter que les associations et les services sociaux peuvent aussi être un soutien de poids pour les aidants et pour les personnes âgées isolées et souffrant de solitude.
Études de cas pratiques pour IDEL
Scénarios spécifiques :
Les cas les plus couramment rencontrés au domicile concernent :
- Le deuil récent, qui induit généralement une perte d’appétit.
- La démence : c’est typiquement le patient qui oublie de se nourrir ou qui se suralimente, pour le même motif (n’oubliez pas qu’un patient obèse peut aussi être dénutri).
- La présence de plaies chroniques qui ne cicatrisent pas : les besoins augmentent, et si le patient n’ajuste pas ses apports, il perd du poids.
Interventions IDEL :
Comme mentionné plus haut, après avoir utilisé les outils de dépistage pour orienter et définir votre prise en charge, vous signalez la situation au médecin et mettez en place conjointement les recommandations adaptées.
Le rôle préventif des IDEL pour éviter la dénutrition :
Là encore, les deux axes principaux sur lesquels vous pouvez agir sont :
L’éducation nutritionnelle de vos patients :
Vous apprenez à vos patients et à leur entourage l’importance de manger de manière équilibrée, et leur conseillez des solutions simples pour enrichir les plats et intégrer des collations.
La stimulation de l’appétit :
Des moyens simples comme une alimentation variée, une belle présentation des plats, avec des assiettes colorées, peuvent stimuler l’appétit de votre patient dénutri.
Faire des repas un moment convivial et de partage est également d’une importance capitale.
Qui aime manger une nourriture fade, souvent sans sel ou sans sucre à cet âge, qui plus est quand on est seul ?
Enfin, intégrer une activité physique modérée mais régulière peut aussi permettre à votre patient de retrouver la sensation de faim.
En revanche, assurez-vous qu’il augmente bien ses prises alimentaires pour éviter de majorer l’amaigrissement.
Mesures spécifiques en milieu rural ou zones isolées :
Challenges des IDEL :
Votre rôle est d’autant plus important que le milieu rural ou les zones reculées, manquent généralement de moyens et de ressources pour venir en aide aux familles et aux aidants, qui se trouvent rapidement démunis.
Solutions adaptées :
Dans ces cas, et si la situation le permet, n’hésitez pas à les orienter vers le réseau associatif local en complément de votre suivi.
Pensez aussi à collaborer avec les services sociaux, et le cas échéant à solliciter les Dispositifs d’Appui à la Coordination, en cas de besoin.
Pour conclure…
Comme nous venons de le voir, le dépistage et le diagnostic de la dénutrition reposent sur des outils simples et accessibles.
Une fois le diagnostic posé et son critère de sévérité évalué, la prise en charge nutritionnelle adaptée à votre patient doit rapidement être mise en place.
En règle générale, les conseils nutritionnels, l’enrichissement des repas et les compléments nutritionnels oraux suffisent à enrayer le problème.
En revanche, gardons à l’esprit que c’est aussi votre expertise et votre proximité avec vos patients dénutris qui font la différence, et qui permettent de déceler rapidement la dénutrition.
Qui plus est, le suivi personnalisé et coordonné que vous instaurez, participe pleinement à l’amélioration de l’état de santé et nutritionnel de vos patients, et in fine à l’amélioration de leur qualité et de leur espérance de vie.
Alors, n’hésitez plus et intégrez le dépistage nutritionnel dans votre pratique quotidienne : aucun de vos patients malades ou âgées n’est à exclure.
Et, si vous n’êtes pas à l’aise avec les thématiques nutritionnelles, n’hésitez pas à recourir aux actions de DPC pour vous former ou réactualiser vos connaissances. Certaines d’entre elles abordent la nutrition gériatrique.
Enfin, si vous avez trouvé cet article utile, n’hésitez pas à le partager.
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