D’après les dernières études, trois millions de Français souffriraient de dépression, et 8 millions déclarent en avoir souffert un jour.
Si on l’associe souvent aux adolescents, elle touche pourtant davantage les séniors.
En effet, 1 personne âgée de plus de 65 ans sur 5 a des symptômes dépressifs ou anxiodépressifs, et les deux tiers d’entre elles ne sont pourtant ni dépistées ni soignées.
Et pour cause, la dépression chez les séniors est souvent masquée par d’autres maladies ou associée à tort à la vieillesse. Elle reste donc sous-diagnostiquée, pesant parfois lourdement sur le quotidien des aînés, aggravant leurs pathologies chroniques et, dans les cas extrêmes, mettant leur vie en danger.
En France, un tiers des suicides concerne les plus de 65 ans.
En tant qu’infirmier, il vous incombe de repérer les facteurs de risques, les premiers signes de dépression, d’évaluer le risque suicidaire, d’alerter et orienter votre patient vers son médecin traitant et d’initier une surveillance clinique rapprochée.
Alors, comment repérer la dépression chez vos patients âgés et comment pouvez-vous les aider à retrouver l’envie de vivre ?
C’est ce que nous verrons ci-après.
Comprendre la dépression du sujet âgé
1. Définition et spécificités cliniques :
Définition :
La dépression est un trouble de l’humeur qui se traduit essentiellement par une tristesse durable et une perte d’intérêt. Elle est souvent associée à des plaintes physiques.
L’OMS définit la dépression de la personne âgée par 9 symptômes typiques. Il s’agit de :
- La tristesse et l’anxiété, qui sont quasiment permanentes et parfois accompagnées de pleurs.
- La perte d’intérêt pour les gestes de la vie courante (toilette, habillage, cuisine) et de plaisir pour les activités habituellement agréables (jardinage, lecture, jeux de carte…).
- Un sentiment de dévalorisation, d’inutilité et de culpabilité.
- Des idées de mort ou de suicide récurrentes.
- Un ralentissement psychomoteur.
- Une fatigue dès le lever ou une perte d’énergie.
- Une perte d’appétit associée à une perte de poids.
- Des troubles du sommeil.
- Des difficultés de concentration et de mémorisation.
Pour que le diagnostic de dépression soit posé, le sénior doit présenter 5 de ces symptômes, dont les deux premiers de cette liste, depuis au moins 15 jours.
D’autres symptômes, moins spécifiques, peuvent compléter le tableau clinique : abus d’alcool ou de tranquillisants, irritabilité, hostilité …
Parfois, la dépression peut être masquée ou apparaitre au second plan en présence de :
- De plaintes somatiques ou physiques telles que des douleurs, des troubles digestifs ou un repli sur soi sans que la tristesse ne soit exprimée.
- D’autres plaintes psychologiques : manifestions anxieuses, troubles hypocondriaques, agitation, masque psychotique…
Elle peut aussi être confondue avec une autre pathologie : par exemple, la dépression pseudo-démentielle entraîne des symptômes similaires à ceux que l’on retrouve dans la maladie d’Alzheimer : baisse de concentration, confusion, troubles de la mémoire …
Dépression et déclin cognitif : Chez la personne âgée, la dépression est un facteur de risque de déclin cognitif. Quand elle est sévère ou récurrente, elle peut favoriser l’apparition ou accélérer l’évolution d’une démence, notamment de type Alzheimer. Par ailleurs, certains troubles cognitifs légers peuvent être pris à tort pour des signes dépressifs. Orienter votre patient pour un diagnostic différentiel adapté est indispensable. C’est là que vos observations fines des troubles peuvent faire la différence. |
2. Facteurs favorisants :
Chez la personne âgée, les principaux facteurs favorisants sont :
- L’isolement, les deuils de proches -parfois successifs-, la perte de l’autonomie (dépendance fonctionnelle) et les difficultés financières (baisse de revenus avec la retraite).
- La douleur et les maladies chroniques ou séquellaires (AVC, maladies cardiovasculaires, respiratoires, neurologiques (Parkinson, démence), cancers…).
- Les troubles du sommeil.
- La polymédication et les effets iatrogènes des médicaments, notamment les benzodiazépines et les corticostéroïdes.
- La baisse de l’acuité visuelle et/ou auditive non compensée ; les troubles de l’élocution et du langage.
À noter que la femme est plus touchée par la dépression que l’homme.
Signes à repérer et outils infirmiers :
1. Signes d’alerte psychiques, physiques et cognitifs :
Les signes d’alerte qui nécessitent que vous orientiez votre patient sans délai sont :
- La tristesse, la perte de l’élan vital, une irritabilité et une hostilité inhabituelles.
- Une fatigue excessive ou durable, des troubles du sommeil persistants.
- Le repli social, le refus de soins, les idées suicidaires.
- Une confusion fluctuante, un ralentissement psychomoteur.
- L’usage abusif d’alcool et de médicaments.
- Le refus de s’alimenter.
- L’aggravation des maladies.
- Toute conduite régressive.
Soyez également attentif au déni des symptômes ou à l’absence de tristesse.
2. Échelles et supports recommandés :
Échelles d’évaluation :
Les principaux outils recommandés sont la GDS et la HAD.
La GDS (Geriatric Depression Scale) :
C’est l’outil de référence.
Elle est composée de 30 items qui permettent d’évaluer le risque dépressif.
Il existe une version courte à 15 items et une mini-GDS à 4 items.
Interprétation GDS :
Dépression légère : | Dépression sévère : | |
GDS à 30 items : | Score 10 – 19 = dépression légère probable. | Score ≥ 20 = dépression sévère. |
GDS à 15 items | Score ≥ 5 : dépression probable. | Score ≥ 10 = dépression sévère probable. |
Mini-GDS à 4 items | Score ≥ 1 = alerte. |
L’échelle HAD (Hospital Anxiety and Depression scale) :
L’échelle HAD permet elle aussi le repérage anxio-dépressif.
Elle comporte 14 items cotés de 0 à 3.
Sept questions se rapportent à l’anxiété (questions impaires = total A) et sept autres à la dimension dépressive (questions paires = total D).
Interprétation de l’échelle HAD :
Un score compris entre 8 et 10 pour chacun des sous-score (A et D) fait suspecter une dépression. Au-delà de 11 par sous-score, la symptomatologie est certaine et nécessite un avis spécialisé.
D’autres échelles d’évaluation peuvent être utilisées en l’absence d’atteinte cognitive :
- La HDRS (Hamilton Depression Rating Scale) que vous connaissez sous le nom d’échelle de Hamilton.
- La MADRS (Montgomery and Asberg Depression Rating Scale) qui comporte 10 items : tristesse apparente, tristesse exprimée, sommeil, appétit, idées suicidaires…
En cas de troubles neuro-évolutifs majeurs associés objectivés par la Mini Mental Scale, c’est l’échelle de Cornell qui est recommandée. Elle évalue l’humeur, le comportement, les plaintes physiques, les fonctions cycliques et les troubles idéatoires. Le questionnaire est destiné au patient mais aussi à son entourage.
Suivi et traçabilité :
Consignez vos observations comportementales dans le dossier de soins par le biais de vos transmissions ciblées.
Ces évaluations doivent être régulières et vos interventions réajustées en fonction des besoins de votre patient. Référez-vous à la même échelle tout au long de la prise en charge.
3. Consentement et éthique :
Gardez à l’esprit que votre patient âgé n’ose pas toujours parler de son mal-être pour ne pas devenir un poids pour son entourage ou simplement parce qu’il pense lui aussi à tort que sa tristesse permanente est normale !
Alors, quelles que soient les réponses de votre patient aux grilles d’évaluation ou aux questions que vous lui posez dans le cadre de votre entretien infirmier, respectez sa parole, même s’il minimise ses plaintes ou nie son état.
Ne le forcez jamais à verbaliser s’il ne le souhaite pas.
Mais, restez disponible et à l’écoute.
La relation de confiance est indispensable et prend parfois du temps.
En revanche, pensez à évaluer sa capacité de discernement, notamment en cas de refus de soins.
Outils à proposer :
Pour vous aider dans votre pratique, voici une Fiche d’observation infirmière téléchargeable : humeur, interactions, rythme veille/sommeil, plaintes somatiques, appétit, comportements inhabituels.
Pour vos patients, tenir un Bullet journal avec trackers d’humeur et d’activités peut s’avérer utile et ludique. Il permet souvent au sénior de prendre conscience de son état, et à vous d’avoir une vue d’ensemble des symptômes et de leurs variations.
Diagnostic infirmier et orientation médicale
Entretien infirmier et évaluation clinique :
En tant qu’infirmier, votre recueil de données est crucial pour poser vos diagnostics infirmiers, définir les objectifs et planifier les interventions.
Il vous permet aussi de repérer une possible iatrogénie médicamenteuse ou de distinguer un épisode dépressif d’un épisode réactionnel ou d’un processus de deuil.
En présence de signes d’alerte, vous évaluez systématiquement le risque de dépression.
Orientation et coordination :
Une fois le risque objectivé par les outils d’évaluation, le diagnostic doit être confirmé par un psychiatre, qui décide de la conduite à tenir, du traitement et de l’accompagnement psychothérapeutique à mettre en place.
Votre premier réflexe est d’orienter votre patient chez son médecin traitant, indispensable pour l’adresser chez un psychiatre et coordonner le parcours de soins.
Et parce que vous êtes au cœur de cette collaboration, vous maintenez un dialogue interprofessionnel régulier avec les différents intervenants.
Arbre décisionnel à insérer :
Prise en charge pluridisciplinaire :
Aujourd’hui, il est encore assez rare de diriger un sénior vers un psychiatre, un psychologue ou de prescrire des traitements antidépresseurs par peur des effets indésirables.
Là encore, écouter, informer et rassurer peut lever les freins et balayer les idées reçues que peuvent avoir le patient et son entourage sur cette prise en charge spécialisée pourtant essentielle.
1. Traitement médicamenteux (sous responsabilité médicale) :
La consultation initiale en psychiatrie permet de confirmer le diagnostic de dépression, mais aussi de débuter un traitement rapidement.
Un antidépresseur peut être prescrit avec précaution, une fois la balance bénéfice/risque évaluée, notamment en présence de comorbidités et de polymédication.
Les antidépresseurs les plus couramment utilisés chez la personne âgée sont les ISRS : Sertraline, Escitalopram. La posologie est adaptée à l’âge.
En revanche, ce type de traitement nécessite une surveillance rapprochée : interactions, hyponatrémie, allongement QT …
Soyez attentif aux signes d’alerte.
2. Soutien psychologique et social :
Des approches non-médicamenteuses complètent la prise en charge : psychologue, psychothérapies… Bien menées et correctement choisies, elles donnent de bons résultats.
Les plus recommandées sont les thérapies brèves et les groupes de parole dédiés aux seniors, qui permettent un travail sur l’estime de soi et qui accompagnent la personne âgée dans l’acceptation du vieillissement.
D’autres solutions peuvent également être proposées : méditation, sophrologie, massages (pour se réapproprier son corps).
Enfin, en cas de difficultés financières, n’oubliez pas d’orienter votre patient vers un(e) assistant(e) social(e).
3. Activité physique et stimulation :
Pour maintenir l’autonomie et entretenir la mémoire de votre patient âgé, conseillez-lui de s’inscrire à des activités telles que la marche, le yoga, le Pilates, la gymnastique douce ou à des ateliers collectifs : mémoire, jeux de cartes, poésie, lecture, jardin thérapeutique, équithérapie, stimulation cognitive.
Créer des nouveaux liens peut sortir votre patient de son isolement.
Rôle infirmier au quotidien :
Suivi de votre patient :
En tant qu’infirmier, votre rôle dans le repérage précoce des signes de dépression est crucial.
Un changement d’humeur ou de comportement doit immédiatement vous alerter et appeler à une orientation rapide.
Une fois le diagnostic posé et le traitement débuté, vous poursuivez votre surveillance clinique et veillez à l’adhésion de votre patient au programme de soins et à la bonne réponse clinique au traitement.
Vous surveillez et prévenez le repli social, la perte d’autonomie et les rechutes.
Soutien des aidants :
Les aidants familiaux jouent souvent un rôle important dans l’alerte initiale.
Les soutenir, les écouter et les orienter vers les structures adaptées (CCAS, MAIA, dispositifs de répit…) peut les soulager.
N’oubliez pas que la fatigue émotionnelle ou physique de l’aidant peut lourdement impacter l’état du patient, notamment quand l’usure est présente.
Références et ressources utiles :
Pour vous aider dans votre pratique, vous pouvez vous appuyer sur différentes ressources :
- La HAS – Recommandations 2021 sur les troubles dépressifs chez le sujet âgé.
- Le Collège de Psychiatrie de la Personne Âgée.
- Les Plateformes de soutien : France Alzheimer, Unafam, CMP de proximité.
- Les MOOC dédiés aux séniors.
Et, bien sûr, pour vous tenir à jour des dernières recommandations, enrichir vos compétences et développer votre expertise dans ce vaste domaine qu’est la santé mentale de nos aînés, n’hésitez pas à vous inscrire à l’une de nos actions de DPC.s enjeux qu’entraînent cette décision, et coconstruire le projet de soins le plus adapté à cette situation légitime.
Pour conclure…
Parce qu’elle n’est pas suffisamment dépistée et traitée et parce qu’elle conduit encore trop souvent nos aînés au suicide, la dépression chez vos patients âgés est devenue un enjeu de santé publique.
Elle nécessite une vigilance accrue et une mobilisation de tous les professionnels de santé.
En tant qu’infirmier, vous êtes souvent les premiers à repérer les signaux d’alerte.
Votre écoute attentive, votre capacité d’observation et votre proximité avec vos patients vous placent au centre du repérage, de l’alerte et de l’accompagnement.
De votre collaboration avec les médecins traitants, les psychologues et les services sociaux dépend le succès de la prise en charge qui doit être globale, personnalisée et bienveillante.
Enfin, rappelez-vous que toute dépression non traitée peut évoluer vers une forme chronique, avec des conséquences durables. Alors, même après amélioration clinique, votre surveillance reste essentielle pour prévenir les rechutes.
Pour terminer, combien de vos patients âgés sont pris en charge pour une dépression ? Quelles sont vos astuces pour repérer la dépression chez vos patients qui minimisent leurs symptômes ?
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